Réflexion sur les discours autour de l’éducation canine : entre nuance et responsabilité

Réflexion sur les discours autour de l’éducation canine dites "positive"

Il est de plus en plus courant, dans le milieu de l’éducation canine, de voir émerger des discours qui se présentent comme « hors système », « à contre-courant », voire « libérés des dogmes » d’une supposée pensée dominante.

Aujourd’hui, c’est souvent l’éducation dite positive qui est visée : accusée d’être rigide, réductrice, voire idéologique. En face, on revendique la nuance, la complexité, la remise en question permanente — en bref, la posture de celui ou celle qui a “pris du recul”.

Mais à force d’entendre ce discours, une question me travaille :

👉 Et si se dire à contre-courant devenait, justement, une nouvelle façon d’imposer un courant ?

👉 Et si, derrière le refus affiché des étiquettes, se cachait en réalité un nouveau récit dominant, plus flou, mais pas forcément plus sain ?

La rhétorique du dissident éclairé

On voit souvent le même scénario : une personne affirme avoir quitté un courant (souvent le R+, donc l’éducation dites positive), se déclarer “libéré.e des cases”, et explique avoir compris que les choses ne sont pas si simples. Jusque-là, pourquoi pas.

Mais rapidement, cette posture glisse vers autre chose :

  • La critique devient caricature : l’éducation positive serait “totalitaire”, “aveugle”, “dogmatique”.
  • Le discours se construit sur l’opposition : “je suis nuancé(e) » (ndlr: donc les autres ne le sont pas).
  • On valorise une forme de lucidité qu’on aurait gagnée en s’extrayant du troupeau.

Ce type de stratégie rhétorique n’est pas nouveau.

Historiquement, certains partis politiques dits “antisystème” ont utilisé les mêmes ressorts : se présenter comme les seuls à oser dire ce que “tout le monde pense tout bas”, dénoncer une “pensée unique” inventée de toutes pièces, tout en construisant leur propre vision simplifiée du monde.

En France, le Front National (devenu Rassemblement National) a longtemps surfé sur cette posture, opposant “le bon sens du peuple” à une élite intellectuelle supposément coupée de la réalité. Cela ne les a pas empêchés, bien au contraire, d’imposer progressivement leur propre idéologie comme référence dans certains débats.

La nuance : une arme à double tranchant

La nuance est essentielle. C’est souvent ce qui distingue une démarche rigoureuse d’un dogme. Mais il faut se méfier d’un usage trop opportuniste de cette nuance, quand elle devient un prétexte à tout justifier.

Car sous couvert de complexité, on peut finir par dire… plus grand-chose.

Exemples fréquents :

  • « Chaque chien est différent » (oui, mais cela ne veut pas dire que tous les outils sont éthiquement équivalents).
  • « Ce qui est perçu comme violent par l’un ne l’est pas forcément par l’autre » (vrai… mais la douleur reste une donnée mesurable).
  • « La science ne dit pas tout » (non, mais elle dit déjà beaucoup, et il faut l’écouter sérieusement avant de la relativiser).

Cette manière de tirer à boulets rouges sur les “certitudes des autres” tout en se plaçant dans une zone floue de “recherche personnelle” permet de :

  • Démolir sans construire,
  • Se protéger de la critique (“je ne fais que poser des questions…”),
  • Et surtout, remettre sur la table des méthodes déjà largement remises en question ( = l’éducation par la violence)

Relativisme, subjectivité… et flou artistique

Dans certains discours, tout devient affaire de point de vue.

La douleur, la peur, la contrainte : tout cela serait subjectif, individuel, contextuel.

Dès lors, comment pourrait-on juger un outil ? Un collier électrique, un coup de collier… ? “Ça dépend du chien.”

Ce relativisme absolu vide la réflexion éthique de sa substance.

Oui, tous les chiens sont différents.

Oui, on doit adapter nos méthodes.

Mais cela ne veut pas dire que tout est sur la même ligne de départ morale, ou que toutes les expériences se valent.

La science n’est pas une opinion

Il est devenu tendance de critiquer « ceux qui se réfugient derrière la science ». Mais ce discours est souvent tenu… par ceux qui la convoquent quand elle les arrange, puis l’écartent au nom de “l’expérience terrain” ou du “ressenti animal”.

Bien sûr que la science ne répond pas à tout.

Mais elle offre des repères objectifs sur :

  • Le stress chez le chien,
  • Les effets des punitions,
  • L’efficacité comparée des méthodes,
  • Les risques émotionnels à long terme.

La remettre en cause n’est pas un problème en soi.

Mais la tordre pour justifier des pratiques douteuses, sous prétexte de nuance ou d’individualisation, en est un.

Refuser les étiquettes ne dispense pas d’avoir une position

Refuser d’être “étiqueté R+” ou “pro-positif” peut être un choix sincère. Mais cela ne peut pas devenir une stratégie pour éviter de dire clairement ce qu’on défend.

👉 Si je refuse l’étiquette, mais que je reviens à des outils coercitifs,

👉 Si je rejette les “dogmes” mais que je ne propose rien d’évaluable,

👉 Si je me place “au-dessus” des débats mais que je critique tous les camps…

… alors je ne suis pas plus libre, je suis juste moins lisible. Et peut-être moins honnête intellectuellement.

En conclusion : penser librement, c’est aussi penser avec responsabilité

Réfléchir à ces questions n’a rien à voir avec la chasse aux sorcières, ni avec le refus du débat.

Au contraire. C’est justement parce que les enjeux sont importants — le bien-être réel des chiens, la qualité de la relation homme-animal, la crédibilité de la profession — qu’on ne peut pas laisser certaines dérives se normaliser sous couvert de nuance.

La liberté de pensée, ce n’est pas le flou.

La nuance, ce n’est pas l’absence de position.

Et la complexité, ce n’est pas un prétexte pour faire tout et n’importe quoi.

En résumé :

  • Se dire à contre-courant peut devenir une posture dominante.
  • La critique de l’éducation positive est parfois légitime… mais parfois idéologisée.
  • La nuance ne doit pas être un cheval de Troie pour des pratiques contraires à l’éthique.
  • Le relativisme peut masquer de vrais enjeux.
  • La science est un repère, pas un accessoire.
  • Refuser les étiquettes ne veut pas dire fuir la responsabilité